Lectures 2020

Le consentement, Vanessa Springora… ma rentrée de l’hiver 2020 !

J’aurais aimé, sans doute, ne pas lire tant d’extraits de ce livre sur les réseaux sociaux avant de l’ouvrir. Cela dit, j’ai souri, pendant ma lecture, devant l’énormité du pompage, parfois au mot près, de ceux qui l’ont fait, souvent sans citer leur source… Remettons les pendules à l’heure, c’est Vanessa Springora, et elle seule, qui a soulevé les lièvres, trouvé les extraits où Pivot apostrophe un certain G., parlé de cette fameuse pétition signée par Sartre et Beauvoir (qui donne envie de vomir), parlé du Lolita de Nabokov aussi et de son ton sans appel, etc… mais son livre n’a rien d’un scandale en soi. Tout d’abord, il est très bien écrit, avec des mots justes, bien posés. Il décrit les émois d’une toute jeune fille (treize ans) pour cet adulte écrivain, fascinant et insistant, enjôleur et beau… appelé tout du long G, trois fois plus vieux qu’elle. On peut même retrouver aux premières pages des airs de Bonjour Tristesse de Sagan primé en 1954 où Cécile, 17 ans, est attirée par les amis de son père (les prémices de ce fameux air du temps ?). Je ne suis personnellement jamais gênée, en tant que lectrice, à l’instar de ce qu’a pu faire Justine Levy ou Laurence Tardieu dans leurs écrits, quand une si belle écriture raconte des faits réels. La réalité est parfois bien plus inventive, plus invraisemblable aussi, plus cruelle, que la fiction. Et je comprends, tellement, qu’il faille attendre si longtemps, que son enfant atteigne l’âge de l’expérience par exemple, que l’énormité de l’événement prenne enfin tout sons sens, pour que l’urgence soudain de raconter advienne. J’ai ressenti avec force le manque d’amour, le manque de repères, l’amour de la littérature, l’admiration, tout ce qui a pu entraîner la jeune Vanessa dans les bras de G. Le prédateur n’avait pas choisi sa cible par hasard. Vanessa vit seule avec sa mère, et cette dernière s’interpose mollement devant la relation des deux tourtereaux, puis laisse faire. Il n’y a pas d’obstacles face aux agissements de G., il y a même un énorme accueil bienveillant face à ses qualités d’écrivain, face à ses livres où tout est raconté, son amour pour les nymphettes et les très jeunes garçons. Tout le monde sait. Et malgré elle, malgré son consentement, Vanessa lance des alertes que personne ne rattrape jamais. Il faudra qu’elle grandisse un peu, qu’elle se rende compte des manipulations de l’écrivain, et qu’elle se sauve elle-même pour que le charme disparaisse… L’attrait qu’elle exerçait sur G. n’aurait de toutes façons pas survécu à la fin de l’adolescence… J’ai lu ce livre avec beaucoup de tendresse pour son auteure, séduite par son écriture, sa sincérité, sa dignité. Je l’ai lu à la fois comme un récit d’expérience, mais aussi comme un ouvrage littéraire. Et loin d’avoir envie d’ouvrir un débat sur l’époque qui a permis à une telle expérience traumatisante de perdurer et de se renouveler, loin d’avoir envie de parler du bien fondé ou non du lynchage médiatique, j’ai envie d’espérer que Vanessa Springora a ainsi débloqué quelque chose en elle, qui lui permettra (entre autres) de continuer sur le chemin de l’écriture.

« Le manque, le manque d’amour comme une soif qui boit tout, une soif de junkie qui ne regarde pas à la qualité du produit qu’on lui fournit et s’injecte sa dose létale avec la certitude de se faire du bien. Avec reconnaissance et béatitude. »

Editions Grasset – 2 janvier 2020

J’ai aimé ce livre, un peu, beaucoup…1 2 3 4 5

Une autre lecture chez… Cathulu

42 commentaires sur “Le consentement, Vanessa Springora… ma rentrée de l’hiver 2020 !

  1. Tu as raison, il vaut mieux aller à la source que de se contenter des extraits et réactions qui explosent un peu partout. Néanmoins, je dois dire que j’avais entendu, écœuré, G. parler dans une émission il y a quelques années, surpris qu’il puisse s’exprimer aussi librement.

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    1. Je crois avoir eu la chance de ne pas regarder cette émission en direct. Quand j’étais étudiante en lettres, les questions un peu bêbêtes de Pivot m’énervaient prodigieusement. 😉 Aller à la la source, lire son livre à elle, me paraît essentiel.

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  2. Ton retour de lecture me donne envie de lire son livre. J’ai hésité avec toute cette com autour mais petit à petit je pense que je vais assouvir ma curiosité à découvrir sa plume cathartique. Merci 😉

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  3. De mon côté, je l’ai lu avant l’avalanche de réactions que nous voyons jour après jour, l’esprit donc assez dégagé et j’avais peu lu d’extraits. Ma lecture n’a pas été polluée. Je connaissais l’histoire dans les grandes lignes, mais je n’imaginais pas à quel point G.M. avait continué son travail de sape et de harcèlement pendant des années. L’auteure a eu beaucoup de courage de revenir publiquement sur cette histoire.

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  4. Très beau billet. Nous découvrons à travers ce livre une écriture et aussi la voix d’une femme. Profondément émue par celle-ci, je mesure le chemin parcouru pour que cette voix ne soit ni aigrie, ni revancharde juste posée comme une nécessité pour emprisonner l’ogre dans les mailles de la littérature. Un livre qu’il faut absolument découvrir loin du buzz médiatique, juste parce que c’est une voix qui dit l’emprise d’un prédateur sexuel .

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  5. Si en plus c’est bien écrit ça donne envie de connaître ce point de vue très personnel qui doit être vraiment intéressant. Comme je le disais chez Aifelle, je vais peut-être attendre un peu avant de la lire par contre, hors actualité.

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  6. Je suis un peu à part dans ce cas. Je lis les Carnets des Ecrivains depuis très longtemps, j’ai commencé avec les journaux à 4 mains de Benoite et Flora Groult, ceux de Jean-Edern Hallier, et suis tombée par hasard il y a bien longtemps sur ceux de Matzneff, à commencer par « La prunelle de mes yeux » (période Vanessa, justement). Et je crois que connaitre les deux faces de l’histoire permet de pouvoir se poser et d’en parler calmement, et de pointer ce qui cloche. Ce qui cloche c’est le fait qu’il ait pu publier tous les détails sur elle, permettant de la reconnaître. A partir des années 2005, les services juridiques Gallimard lui ont imposé des *** et des coupes sombres. Et je rappelle que je ne défends pas cet écrivain.

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  7. Tu confirmes mon envie de le lire (je viens de chez Aifelle).
    Je n’aime pas le lynchage médiatique mais il est important de comprendre cette affaire-là pour que ce qui est arrivé ne se reproduise plus.

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  8. je lis ta critique à retardement car j’avais décidé de n’en lire aucune ni de suivre les médias à ce sujet avant de l’avoir lu et d’avoir rédigé (difficilement) ma critique.
    J’ai aimé la manière dont elle décortique a posteriori le fonctionnement de l’emprise que ce pervers a exercé sur elle.
    Le comportement des adultes autour d’elle est scandaleux, et quand on voit les noms des signataires de la pétition dont ce prédateur est à l’origine… à vomir. C’était une autre époque! ah bon!
    elle semble s’en être bien sortie : sa prestation a LGL m’a rassurée 🙂

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