Lectures 2017

Une fenêtre un auteur… Valérie Tong Cuong

Pendant cette période spéciale de confinement et d’annulations de salons littéraires, j’ai eu l’idée d’interviewer quelques auteurs. De quoi nous changer les idées et leur donner une visibilité supplémentaire.

Valérie Tong Cuong a bien voulu répondre à mes questions.

Bonjour Valérie Tong Cuong,

Notre club des lecteurs yonnais a vu le jour fin août 2019, et très vite vos romans ont été énormément plébiscités par les lecteurs du groupe. Voici pourquoi je viens vers vous aujourd’hui.
Vous avez bien voulu répondre à quelques questions pour le club des lecteurs yonnais.

Antigone : Le titre qui rencontre sans doute le plus de succès parmi nos lecteurs est Par amour, publié chez JC Lattès en 2017. Il raconte l’histoire de deux familles havraises pendant la seconde guerre mondiale.
Une des lectrices voudrait connaître votre état d’esprit pendant la rédaction de ce livre, et si vous êtes sortie facilement de cette histoire bouleversante, et de la fin de l’écriture de ce roman qu’elle qualifie de chef d’œuvre. Pourriez-vous lui répondre ?
Valérie Tong Cuong : J’ai vécu l’écriture de ce livre comme une mission. L’objectif était de rendre hommage à tous les civils qui se sont sacrifiés (et parfois ont été sacrifiés) lors de la seconde guerre mondiale, et particulièrement ceux qui se sont trouvés pris en étau dans des zones occupées par les Allemands et bombardées par les Alliés. J’avais eu connaissance via ma propre famille de faits sidérants qui avaient été passés sous silence après la guerre, pour plusieurs raison : en 45, l’urgence était de trouver les moyens de se relever, mais surtout, on découvrait l’horreur de la Shoah, et plus largement, les conséquences épouvantables de la barbarie nazie. Il ne serait pas venu à l’esprit de se plaindre du sort des enfants envoyés en Algérie, en regard des convois d’enfants envoyés vers les camps de la mort. Enfin, il n’était pas possible de montrer du doigt les Alliés après la destruction quasi totale du Havre (et d’autres villes), car ils étaient aussi nos sauveurs. Les derniers témoins mouraient les uns après les autres. J’étais consciente d’être peut-être la dernière personne qui pourrait rendre compte de ces événements, en tout cas à grande échelle. Car l’écriture romanesque permet cela, de porter à la connaissance du plus grand nombre des faits historiques qui seraient, sinon, demeurés confidentiels pour la plupart. Je suis sortie secouée de l’écriture de ce roman, après avoir recueilli d’innombrables témoignages de gens qui avaient tenu bon par amour, dont plusieurs, 70 ans plus tard, ne pouvaient évoquer ces années sans pleurer. Après la publication, l’émotion est montée d’un cran lorsque d’autres témoignages sont survenus, dont plusieurs personnes dont je racontais le destin sans les avoir encore rencontrées. Ainsi, j’ai fait la connaissance de la tante des deux enfants avaient réchappé par miracle du naufrage du Lamoricière. Il y a aussi le fils du directeur du Printemps, qui est venu me voir lorsque je suis passée au Havre. Il était bouleversé, revivant ce à quoi il avait assisté enfant (le bombardement du magasin, et son père, dont les cheveux avaient blanchi en une nuit après cette tragédie.) Et d’autres encore…Merci à cette lectrice pour ce compliment magnifique !

Antigone : J’ai personnellement eu un gros coup de cœur pour Les guerres intérieures , votre roman, sorti chez JC Lattès lors de la dernière rentrée littéraire en août 2019. Il parle essentiellement du poids de la culpabilité et de la manière de chaque personnage de la gérer. J’aimerais beaucoup savoir comment l’idée de ce roman vous est venue ?
Valérie Tong Cuong  : Avant tout merci à vous, je suis très touchée par ce retour de lecture. Le point de départ de ce roman est l’agression de mon fils, il y a plusieurs années, dans le hall de mon immeuble. Un voisin est passé et n’est pas intervenu. Cela m’a beaucoup interpellée. Je devais comprendre avant tout comment cet homme qui n’était ni meilleur ni pire que moi, que je croisais chaque jour, avait pu détourner le regard. Il m’a fallu du temps pour écrire sur le sujet, débarrassée de toute colère. J’ai compris que nous étions tous alternativement lâche et courageux, selon le contexte dans lequel nous nous trouvions, le poids de nos peurs, nos priorités, la pression, l’urgence. Je voulais réfléchir sur les conséquences de la lâcheté, qui ne sont pas seulement négatives, car la culpabilité qu’elle engendre pousse chacun d’entre nous à réfléchir et s’améliorer, à agir différemment, à s’élever. Je voulais également montrer les conséquences de la violence sur l’entourage d’une victime. Lorsque quelqu’un est blessé, meurt, ou souffre tout simplement, qu’il s’agisse d’un accident, d’une maladie, ou de violence sous toutes ses formes, de nombreuses personnes sont touchées par ricochet, à commencer par sa famille. L’important pour moi était d’observer ces phénomènes sans jugement.

       

Antigone : Votre premier roman, Big, est paru en 1997 chez Nil Editions. Pourriez-vous nous raconter l’histoire de ce manuscrit et comment ce sont déroulés vos premiers pas en tant qu’écrivain ? Cela a-t-il changé votre vie ?
Valérie Tong Cuong : Big est en fait mon deuxième roman. Le premier (Où je suis ) est paru en 2001 chez Grasset. En 1994, je l’ai envoyé à des grandes maisons mais il a été refusé car jugé trop violent, notamment l’égard des hommes. Puis Virginie Despentes a ouvert une brèche en publiant « Baise-moi ». L’écriture féminine a pu se déployer et lorsque Grasset a eu connaissance du manuscrit, ils l’ont signé immédiatement. Pour ce qui concerne Big, je l’ai envoyé par la poste à Nicole Lattès. Nil éditions me semblait alors une maison très intéressante, car petite, récente, mais dirigée par une grande dame de l’édition qui avait l’écoute et le respect du milieu. Elle a aimé mon manuscrit et dès notre première rencontre m’a dit : « soyez sûre d’une chose, vous êtes un écrivain ». (On ne disait pas encore écrivaine !). Cela a changé ma vie, bien sûr, car le succès de ce premier roman, qu’elle a superbement soutenu, m’a décidée à me consacrer à l’écriture. Il faut savoir que c’est mon compagnon de l’époque, devenu mon mari, qui m’a poussée à envoyer mon texte. J’écrivais depuis l’enfance, mais jamais je n’avais envisagé de publier. J’avais tant d’admiration pour les grands auteurs, je me sentais trop « petite ». J’écrivais en secret. Il l’a découvert par hasard, et après avoir lu, et adoré le texte, il a beaucoup insisté pour que je tente ma chance. Il a bien fait !

Antigone : Vous avez de nombreux romans à votre actif. Par lequel aimeriez-vous que qu’un lecteur découvre votre écriture, et pourquoi ?
Valérie Tong Cuong : C’est difficile à dire. Je conseillerais probablement mon dernier roman, les guerres intérieures, car il représente un virage dans mon écriture. Cependant, tous mes romans parlent de la complexité de l’être humain, avec des thématiques, des angles très différents. Aussi selon l’état d’esprit du lecteur, l’un d’entre eux sera sûrement mieux adapté que l’autre, il faudrait idéalement pouvoir personnaliser ce conseil !

Antigone : Vous êtes une auteure que j’ai découverte accessible et proche des lecteurs. Pourriez-vous nous dire ce que vous apportent ces échanges ? Privilégiez vous plutôt les rencontres en librairie, ou participez vous quelquefois à des salons littéraires ?
Valérie Tong Cuong : Les lecteurs m’apportent énormément, par leurs retours de lecture qui m’éclairent parfois sur mon propre texte, par leur enthousiasme qui est un carburant extraordinaire, par leur partage d’expérience, souvent bouleversant, qui me nourrit. Je leur suis très reconnaissante de venir à moi, de m’écrire. Ils sont aussi d’un incroyable soutien grâce au bouche à oreille ! Les salons sont moins propices à l’échange que les rencontres en librairies, que je privilégie aussi pour soutenir les libraires, dont beaucoup me défendent depuis longtemps (et qui souffrent énormément de la crise actuelle) . Merci à vous tous, membres de ce club de lecture, pour votre soutien, votre intérêt, cela compte beaucoup pour moi.

Antigone : Enfin, les lecteurs yonnais aimeraient beaucoup savoir comment vous travaillez. Savez-vous toujours exactement quel sera le déroulé du roman à venir ? Faites-vous un plan ? Avez-vous une pièce dédiée à l’écriture chez vous ? Avez-vous des rituels ? Comment gérez vous l’équilibre entre écriture et vie de famille ?
Valérie Tong Cuong : Je n’ai pas toujours le déroulé à l’avance, cela varie selon les romans. Et je ne l’ai jamais totalement, même lorsque j’ai le squelette de l’histoire, comme c’était le cas avec « Par amour ». J’ai fait un plan général pour Pardonnable, impardonnable et Par amour, car il me fallait vérifier que les parcours individuels, les quêtes de chacun fonctionnaient en cohérence avec l’histoire commune, et que la chronologie était bien respectée, mais sans le détailler car je ne voulais pas brider mes personnages. Pour tous mes romans, j’ai en revanche dès le départ une thématique précise, je sais ce que je veux explorer, amener. En ce qui concerne l’écriture, je n’ai pas de rituel mais j’ai besoin de solitude. Ainsi je n’écris quasiment jamais dans un lieu public. Sur le sujet de l’équilibre vie privée/écriture, eh bien… il est parfois compliqué à trouver mais chacun y met du sien, heureusement. Mes enfants ont des âges très différents et des attentes, des besoins différents. Ils souffrent forcément des périodes de sortie, où je m’absente beaucoup pour rencontrer les lecteurs. Mais ils me soutiennent énormément, ainsi que mon mari, car ils connaissent l’importance de l’écriture dans ma vie. En ces temps de confinement toutefois, il est particulièrement difficile de m’isoler mentalement et physiquement et mon roman en cours avance plus lentement que prévu. J’en souffre mais je l’accepte : ma priorité reste le bien-être et la sécurité de ma famille.

Un grand merci à vous Valérie Tong Cuong.
Un grand merci à vous également ! Bon courage pour cette période si particulière, amicalement, Valérie.

13 commentaires sur “Une fenêtre un auteur… Valérie Tong Cuong

  1. J’avais assisté à une rencontre avec l’auteure à la sortie de « par amour », mais je ne l’ai toujours pas lu. Il ne faut pas que j’oublie, d’autant que le contexte m’intéresse beaucoup. Je la retrouve bien dans ton interview.

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  2. Merci pour cette belle interview. je suis suffoquée en apprenant la genèse du roman « Les guerres intérieures », que j’ai dévoré récemment.
    Il faut absolument que je prévois la lecture de « Par amour », que j’ai pourtant dans ma PAL audio !

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  3. J’ai beaucoup aimé « par amour » et je compte bien lire d’autres ouvrages de l’auteure (notamment « les guerres intérieures ». Et j’ai dans ma PAL « pardonnable impardonnable » dans ma PAL.
    C’est interview est également très intéressante !

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    1. Merci 😉 J’étais restée sur ma déception de l’Atelier des miracles mais maintenant que je me suis réconciliée avec l’écriture de Valérie Tong Cuong, c’est certain que je vais continuer de la lire.

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