© Liam Seskis
Je suis fatigué. Tu as remarqué comment tout est plus compliqué quand on est fatigué ?
Je sais qu’il faudrait que je l’appelle. Je le ferai demain, demain c’est bien. Il y a une cabine à la fac. Elle est souvent libre, contrairement aux téléphones du hall de la cité universitaire. L’autre jour, j’ai essayé d’attendre un peu là-bas, mais une fille était installée, des chaussons aux pieds, en peignoir. On l’avait sûrement rappelée. Aucune carte ne tient aussi longtemps. J’ai regardé cette fille, elle avait l’air cool, et heureuse. J’ai pris le temps de l’envier, d’envier sa décontraction, de pester contre son égoïsme aussi, et puis je suis remonté dans ma chambre.
Je me suis dit que si elle avait voulu qu’on se téléphone avant elle aurait fait un effort, celui de joindre le concierge, qui répercute les appels dans les étages. C’est plus confortable pour tout le monde. Pas pour elle visiblement. Les autres parents le font.
Je ne sais pas combien il me reste d’unités… Tu ne trouves pas qu’il n’y a rien de pire que quand l’autre décroche et que son allo au bout du fil déclenche dans un tintement la chute d’au moins la moitié du stock ? J’ai l’impression de décéder un peu. A chaque fois.
Et bien sûr, elle ne me rappelle jamais. Elle m’invite à acheter une autre carte. Elle abrège la conversation. Il ne faudrait pas que ça lui coûte. Tu parles.
Quand je lui avais annoncé il y a quelques mois qu’on me virait de mon appartement et qu’il me fallait trouver un nouveau logement, rapidement, j’étais descendu et j’avais marché longtemps avant de trouver un téléphone. Sa froideur au bout du fil, son désintérêt pour mon sort, et le métal froid sous mes doigts je m’en souviens encore. Heureusement, on m’avait dégoté cette chambre de neuf mètres carrés, dans laquelle je me sens étrangement bien maintenant, protégé.
La semaine dernière, il a fallu prévenir, tu y tenais. Je l’ai fait de cette fameuse cabine, à la fac. Je voulais lui dire que j’avais rencontré quelqu’un, et qu’elle viendrait peut-être parfois chez nous. Je voulais lui parler de toi. Franchement, je m’attendais à quoi ?
Un texte rédigé dans le cadre de l’atelier d’écriture d’Alexandra K – Une photo, quelques mots
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Beaucoup de tristesse et de sobriété dans ce texte. On ressent parfaitement l’atmosphère déprimante.
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Merci 😊. C’est vrai que j’ai l’écriture un peu déprimante là.
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oui ça existe des mères qui ne ressentent pas ce mythique « amour maternel »
très beau texte, très très réaliste
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Merci pour ta lecture ! Tant mieux si le réalisme ressort.
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La solitude des jeunes dont les parents se sont détachés, c’est triste…mais ça fait partie de la vie.
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Oui, la vie a de multiples facettes comme ça.
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Hyper réaliste ! On ressent immédiatement de l’empathie pour ce jeune en manque de soutien maternel. C’est touchant et cette rencontre qui compte, en fin de narration, c’est très joli.
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Merci pour ta lecture ;).
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C’est surtout un profond besoin de sentir qu’il y a quelqu’un qui se préoccupe de nous. On s’attend à cela de nos parents, particulièrement de la maman, mais ça ne se passe pas toujours ainsi.
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Non, effectivement dans ce cas.
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Triste sort de jeunes étudiants livrés à eux même qui ne trouvent même pas le réconfort de leurs proches. Très bien écrit.
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J’ai travaillé au CROUS dans ma jeunesse, c’est malheureusement parfois le cas. Merci ;).
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