Lectures 2023

Les crevards, Nathalie Achard

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J’avais été très impressionnée par le précédent titre de Nathalie Achard, Week-end entre amis, un premier roman d’une force dérangeante assez marquante. On peut se demander d’ailleurs comment cette autrice, joyeuse et souriante sur les réseaux, arrive à imaginer de tels scénarios et de telles horreurs dans ses polars. J’ai donc, en toute inconscience, retenté l’aventure… Il est tôt ce matin là quand Eric, formateur en communication, s’apprête à lancer la visio sur laquelle il met beaucoup de poids depuis plusieurs jours. Les participants vont vivre la dernière journée de leur séminaire, la plus importante. Ils se connectent un à un et Eric les prépare à une matinée qu’il promet pleine d’expériences enrichissantes. Les personnalités sont très différentes. Eric semble troublé que Nicolas se soit connecté de Normandie. Il en informe derechef un certain Fabien, censé en prendre bonne note. Mais que se prépare-t-il ? Tout se déroule comme prévu, quand soudain une ombre apparaît derrière Eric, tétanisant son auditoire… Je dois dire que j’ai été de nouveau scotchée par le récit de Nathalie Achard, de temps en temps un peu perdue et troublée aussi, ce qui est voulu par l’autrice qui sait maintenir son lecteur dans un entre deux mental désagréable. Est-ce que ce qui se déroule petit à petit devant les yeux des participants est réel, prévu, sans conséquences ? Faut-il s’inquiéter ? Eric est-il à ce point pervers ? Ou la pauvre victime d’une machination incompréhensible. Et que dire de la présence d’une certaine Manon dans l’auditoire ? Nathalie Achard a le chic pour transformer des réunions anodines en un festival de violences. Vous ne vivrez plus vos visios de la même manière après cette lecture.

 Editions Black Lab – 1er mars 2023

J’ai aimé ce livre, un peu, beaucoup…1 2 3 5 5

Une autre lecture chez… univers polars
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Atelier d'écriture·Ecrire

L’atelier d’écriture n°431 de Bricabook

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© Liam Seskis

Je suis fatigué. Tu as remarqué comment tout est plus compliqué quand on est fatigué ?

Je sais qu’il faudrait que je l’appelle. Je le ferai demain, demain c’est bien. Il y a une cabine à la fac. Elle est souvent libre, contrairement aux téléphones du hall de la cité universitaire. L’autre jour, j’ai essayé d’attendre un peu là-bas, mais une fille était installée, des chaussons aux pieds, en peignoir. On l’avait sûrement rappelée. Aucune carte ne tient aussi longtemps. J’ai regardé cette fille, elle avait l’air cool, et heureuse. J’ai pris le temps de l’envier, d’envier sa décontraction, de pester contre son égoïsme aussi, et puis je suis remonté dans ma chambre.
Je me suis dit que si elle avait voulu qu’on se téléphone avant elle aurait fait un effort, celui de joindre le concierge, qui répercute les appels dans les étages. C’est plus confortable pour tout le monde. Pas pour elle visiblement. Les autres parents le font.

Je ne sais pas combien il me reste d’unités… Tu ne trouves pas qu’il n’y a rien de pire que quand l’autre décroche et que son allo au bout du fil déclenche dans un tintement la chute d’au moins la moitié du stock ? J’ai l’impression de décéder un peu. A chaque fois.
Et bien sûr, elle ne me rappelle jamais. Elle m’invite à acheter une autre carte. Elle abrège la conversation. Il ne faudrait pas que ça lui coûte. Tu parles.

Quand je lui avais annoncé il y a quelques mois qu’on me virait de mon appartement et qu’il me fallait trouver un nouveau logement, rapidement, j’étais descendu et j’avais marché longtemps avant de trouver un téléphone. Sa froideur au bout du fil, son désintérêt pour mon sort, et le métal froid sous mes doigts je m’en souviens encore. Heureusement, on m’avait dégoté cette chambre de neuf mètres carrés, dans laquelle je me sens étrangement bien maintenant, protégé. 

La semaine dernière, il a fallu prévenir, tu y tenais. Je l’ai fait de cette fameuse cabine, à la fac. Je voulais lui dire que j’avais rencontré quelqu’un, et qu’elle viendrait peut-être parfois chez nous. Je voulais lui parler de toi. Franchement, je m’attendais à quoi ?

Un texte rédigé dans le cadre de l’atelier d’écriture d’Alexandra K – Une photo, quelques mots
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Lectures 2023

Il ne doit plus jamais rien m’arriver, Mathieu Persan

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Mathieu Persan est illustrateur. Il a réalisé de nombreuses couvertures d’ouvrages et d’albums de musique. Ce livre est le premier qu’il publie, et la couverture est bien entendu de lui. Et c’est ce qui m’a attiré je crois vers ce récit, cette image intrigante en couverture, et son titre qui l’est tout autant… Mathieu Persan raconte sa mère, le cancer qui a commencé sournoisement dans son bas ventre, et l’amour qui régnait dans cette famille de trois enfants, baignée d’une double culture. Avec beaucoup d’humour et de tendresse, il est question du combat contre la maladie, mais aussi des derniers jours, de la mort et des jours d’après. La vie, pour autant, reprend rapidement ses droits via tous les souvenirs d’enfance du narrateur, la luminosité que dégageait sa mère, mais aussi les secrets qu’elle conservait en elle. C’est elle, alors qu’elle donnait naissance à sa fille aînée, qui a lancé cette phrase : « il ne doit plus jamais rien m’arriver », et qui a ensuite tout fait pour ne pas se mettre en danger et s’occuper de ses enfants. Mais pourquoi a-t-elle donc autrefois refusé ce poste en mathématiques à l’université ? Je ne suis pas très friande de sentimentalisme, et Mathieu Persan a su en éviter ici l’écueil, par son humour, et sans doute aussi grâce à son regard d’illustrateur, qui sait prendre du recul et embrasser d’un peu plus loin une scène. Je suis ressortie de son histoire avec l’impression d’avoir été invitée dans le cocon d’un brouhaha familial plutôt joyeux et bienveillant. J’ai beaucoup aimé les petites cartes qui accompagnaient l’envoi du livre. Mon fils qui dessine en a apprécié l’esthétisme. Et je dois reconnaître que ce texte m’a cueillie, m’a touchée. Je n’avais pas vu venir la poésie qui s’invite et met du baume sur les coeurs.

 

Editions L’iconoclaste – 9 mars 2023

J’ai aimé ce livre, un peu, beaucoup…1 2 3 4 5

Une autre lecture chez… Le coin de lecture de Nath
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Atelier d'écriture·Ecrire

L’atelier d’écriture n°430 de Bricabook

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© Fred Hedin

Dans mon village, l’ancien charcutier est devenu un industriel, et vend maintenant des pizzas, et ces sandwichs triangles que l’on retrouve sur des airs d’autoroutes, vous voyez.
Dans mon village, la devanture de son ancien établissement, là où « tout a commencé » est restée longtemps inchangée, dans son jus, mais fermée, le rideau tiré. Elle nous montrait à tous combien tout le monde pouvait sortir « de sa condition » à condition (justement) d’en vouloir un peu. L’image même du « quand on veut on peut ». On pouvait voir d’où il était parti, et à quelques kilomètres à peine plus loin, où il en était arrivé. Le petit local impressionnait face aux bâtiments imposants construits depuis. Mais il rendait le bourg un peu triste.
Heureusement, le boucher avait continué son activité, lui, et ses steaks hachés étaient restés immuables.
Dans mon village, personne d’autre n’avait vraiment pu, pu autant. Tout le monde s’était mis à travailler pour « celui qui avait pu », avait monté son entreprise de pizzas, et s’était même converti dans les plats asiatiques, les salades et tout un tas de mets à priori comestibles, qui finissaient tous par avoir bizarrement le même goût.
On se taisait sur les horaires décalées, la fatigue du corps, le froid. On pouvait même dorénavant construire des maisons « qui en jetaient » grâce aux primes, l’avenir était assuré. Les enfants restaient dans le coin, n’avaient pas besoin de faire de grandes études pour mettre des olives sur une chaîne de production, que demander de plus, pourquoi en espérer moins.
Lorsque la nouvelle est tombée, ce recul du départ de l’âge de la retraite, combien de ceux qui ont dépassé la cinquantaine aujourd’hui se sont rappelés à quel point on leur avait vendu du rêve, enfant, en leur présentant leur première pizza. Elle ne venait pas d’Italie, elle avait un goût de pain, de lardons trop cuits et de tomate. Son aspect était un peu grossier et sa sauce nous brûlait systématiquement le palais.
Mais en manger était cool. Et en acheter aussi. Comme si participer à ce progrès là, à ce sentiment de privilège absurde, n’allait pas enchaîner les corps et des familles entières à « l’entreprise », et ce pendant des années, et ce encore longtemps. Bien plus longtemps qu’ils ne l’avaient jusque-là imaginé.

Un texte rédigé dans le cadre de l’atelier d’écriture d’Alexandra K – Une photo, quelques mots
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Lectures 2023

Hacker, Sophie Adriansen

hacker

Tout a commencé quand Sophie Adriansen est tombée sur un article du site Vice relatant l’histoire folle d’un jeune hacker. Elle met ça dans un coin de sa tête, relit l’article qu’elle avait enregistré, quelques mois plus tard, alors qu’elle rêve depuis quelques temps du personnage, et écrit les premières pages… Jeune prodige de l’informatique, Florian Murail, dit Flow, cache à tout le monde, depuis le collège, la réalité de ses activités. Il est discret sur cet argent qu’il semble pouvoir dépenser à foison. Sa famille, son meilleur ami Pedro, et même sa copine Méline, ne peuvent soupçonner que ce bon élève, très doué en informatique, est devenu un hacker. Il faut dire que Flow fait tout pour que rien ne se devine, il déploie des stratégies folles pour dissimuler sa richesse, les vêtements de luxe achetés. Sa faiblesse : posséder le dernier portable à la mode, le plus cher. Il laissera croire à ses parents qu’il l’a gagné ou obtenu grâce à des points de fidélité. Sa première arnaque a été de débloquer les cartes de téléphone collectionnées par sa soeur, et de les revendre. Il vole aujourd’hui des cartes de crédit pour un énorme réseau international du dark web. Tout est sous contrôle… ou presque. J’ai beaucoup aimé découvrir l’écriture de Sophie Adriansen dans ce récit très différent de ce que j’ai lu d’elle jusque-là, et entrer ainsi dans la tête d’un jeune homme de presque 18 ans, un jeune homme un peu particulier, qui préfère passer du temps devant son ordinateur à tout autre chose. Les parents ignorent ici complètement l’étendue des activités de leur fils, qui déploie des trésors d’inventivité pour détourner leurs fragiles soupçons. Et cela montre bien à quel point on peut aimer son enfant, lui accorder une totale attention, et passer quand même à côté de lui, de ses préoccupations intérieures. Une histoire édifiante, inspirée d’une histoire vraie.

 Editions La joie de lire – 17 février  2023

J’ai aimé ce livre, un peu, beaucoup…1 2 3 5 5

Une autre lecture chez… Enna

L’interview de Sophie Adriansen ici

Lectures 2023

Nos fautes inavouées, Domenico Starnone

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Traduit de l’Italien par Lise Caillat

J’avais vraiment beaucoup aimé ma lecture du roman Les liens, du même auteur, sorti pendant la rentrée littéraire de septembre 2019, une sortie discrète qui aurait alors mérité mieux. Mais difficile de se faire sa place dans le grand remue ménage de la rentrée ! J’avais particulièrement aimé retrouver cette ambiance particulière, introvertie et bavarde, très italienne, des films de Nanni Moretti par exemple, je ne pouvais donc pas passer à côté d’un nouveau roman de Domenico Starnone… Le lecteur rencontre dans ce roman le même genre de personnage. Pietro est au début de cette histoire un excellent jeune professeur de littérature. Il vit avec Teresa, une de ses anciennes élèves, une relation passionnée et pleine de rebondissements. Un jour, leur vient à tous les deux l’idée de resserrer leurs liens avec la confidence mutuelle d’une faute inavouable, un secret qu’il sera interdit de révéler, chacun tenant l’autre par cette menace. Mais le couple se sépare et Pietro rencontre Nadia, une professeure de mathématiques beaucoup plus sage et réservée, avec qui il va fonder une famille. En parallèle, ses ambitions d’écrivain essayiste rencontrent un succès inattendu. Pietro est demandé partout et devient célèbre. Pour autant, le secret confié à Teresa lui pèse et le suit, tel un fantôme. Il s’attend à chaque instant à ce que son imposture lui soit jetée au visage… J’ai lu ce roman d’une traite, en une journée. Je n’ai cependant pas été entièrement convaincue par son intrigue. Les confidences de Pietro et Teresa ne tiennent en effet pas vraiment (à mon avis) toutes leurs promesses narratives. L’histoire s’attache surtout aux déboires conjugaux de Pietro, à ses émotions profondes, à ses ambitions littéraires, à ses petitesses avouées. Rien de très nouveau donc. Pour autant, l’auteur sait tenir son lecteur et a un certain talent, tout de même, pour examiner à la loupe nos soubresauts intimes. Les incursions dans le milieu littéraire sont également assez savoureuses.

Editions Fayard –  1er mars 2023

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