Coups de coeur·Lectures 2023

Une histoire des abeilles, Maja Lunde… coup de coeur !

unehistoiredesabeilles

Traduit du norvégien par Loup-Maëlle Besançon

❤ J’ai enfin sorti ce titre de ma PAL, et quelle histoire, et quel coup de coeur ! Pour autant, son sujet, visionnaire, est assez effrayant… Et si les abeilles disparaissaient ? Que deviendrions-nous ? Dans ce récit, nous suivons en parallèle trois familles, à trois époques différentes, toutes reliées par le sujet de la pollinisation et des abeilles. En Angleterre d’abord, nous rencontrons William, terré dans son lit par une sombre dépression, alors qu’il a de nombreuses bouches à nourrir et avait de grandes ambitions scientifiques. Nous sommes à la fin du XIXème siècle et cette situation n’est guère tolérable pour sa famille. Un livre sur l’apiculture va heureusement le sortir de sa léthargie. Dans l’Ohio, au début des années 2000, George tente de convaincre son fils étudiant que la ferme est son avenir. Apiculteur, il voit avec effroi pourtant d’autres exploitations perdre leurs précieuses abeilles. Tao, en 2098 en Chine, passe des journées harassantes à polliniser les fleurs à la main, comme ses nombreux compatriotes. L’Effondrement a déjà eu lieu. Depuis, le monde est asphyxié et sous alimenté. Un jour, lors d’une sortie familiale, son fils Wei-Wen, qui avait échappé à l’attention de ses parents, tombe soudain malade, est sur le point de s’étouffer et est emmené aux urgences, puis enlevé à ses parents qui restent sans nouvelles. Pourquoi ?… Maja Lunde, dans son récit, sait à la fois ménager un suspens troublant et pointer du doigt un sujet fondamental à notre survie. Les chapitres sont assez courts. On se demande vaguement, bien sûr, ce qui peut relier tous ces personnages admirablement dessinés par l’autrice, mais là n’est pas vraiment le sujet. On referme ce roman, en réalité, avec un bourdonnement continu dans les oreilles, et le désir très fort de préserver les abeilles, et par là-même notre monde menacé.

Editions Pocket –  août 2018

J’ai aimé ce livre, un peu, beaucoup…1 4 2 3 4 

Une autre lecture chez… Enna

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Coups de coeur·Lectures 2023

Martienne ?, Janine Teisson… coup de coeur !

martienne

❤ Janine Teisson a remporté pour un précédent roman, La petite cinglée, le prix Antigone et le prix du premier roman de Chambery. Comment résister à un tel argument ? J’ai donc accepté de recevoir ce livre, qui fête les trente ans d’écriture de l’autrice, sans savoir qu’il me prendrait autant, ni qu’il serait au final une lecture coup de coeur !… Janine Teisson choisit de nous faire avancer dans son récit année après année, à la manière d’un journal intime qui dirait « elle  » plutôt que « je ». L’histoire commence donc en 1948 au Maroc, lorsqu’une enfant, non désirée, naît. Le décor est planté, la petite fille regarde les autres s’agiter autour d’elle comme si elle venait d’une autre planète. L’enfance est violente. Il s’avère qu’elle est myope, déphasée, qu’elle essaye de découvrir le monde qui l’entoure et ne sait pas dire non. Ne sachant trop ce que signifie « être une fille » et encore moins « être une épouse », la voici mariée à 18 ans, et mère à peine un an plus tard. Le couple est alors en Afrique, débutant ainsi une vie pleine de rebondissements. Mais la jeune femme a toujours le sentiment de subir les événements, et maintenant les enthousiasmes de son compagnon. Jusqu’où ira-t-elle ainsi ? Nous parcourons avec ce personnage attachant soixante ans d’existence, en voyageant du Maroc à la France, en passant par la Côte d’Ivoire et les Antilles. La jeune martienne est d’abord complètement soumise, puis se révolte, ose, enseigne, fait le clown, s’intéresse à la psychanalyse, à l’écriture. A la fin de chaque page de ce journal épique, des références en italique nous informent de la marche du monde, en parallèle. Et cela donne peu à peu à ce roman, la dimension d’une fresque, touchante, féministe et révoltée. De nombreux passages sont à la fois drôles et dramatiques, comme si il fallait rire plutôt qu’en pleurer. Je pense notamment au récit ubuesque du voyage de noce. Je n’ai pas été tout de suite séduite par les premières pages, le temps de me faire au ton et au principe sans doute, puis j’ai ressenti de l’empathie et ai été complètement emballée par les réflexions qui parcourent le livre, sur la vie, l’écriture, la place de la femme, l’amour. Ne passez pas à côté de ce beau récit féminin, c’est une enthousiasmante surprise !

Editions Chèvre-feuille étoilée –  12 mai 2023

J’ai aimé ce livre, un peu, beaucoup…1 4 2 3 4 

 

Coups de coeur·Lectures 2023

Hamnet, Maggie O’Farrell… coup de coeur !

hamnet

Traduit de l’anglais par Sarah Tardy

❤ J’ai beaucoup lu il y a quelques années Maggie O’Farrell, dont j’adore bien souvent les romans, puis moins. J’avais entendu tellement de bien d’Hamnet à sa sortie que j’avais peur d’être déçue. Suis-je bête ? Car ce roman, quoique très différent des autres romans de Maggie O’Farrell est absolument merveilleux, et m’a fait verser des tonnes de larmes, ce qui contrairement à ce que l’on peut croire est un bon point pour une lecture… Nous sommes en 1596, dans la campagne anglaise, quand Judith tombe malade. Son frère Hamnet, son jumeau, tente de trouver « quelqu’un » pour porter secours à la petite fille qui s’est allongée sur sa paillasse. Il a beau courir partout, il ne trouve personne, puis se résout à se coucher près de sa jumelle, pour la soutenir. Agnès, leur mère, était pourtant un peu plus loin dans les champs, et a senti vaguement quelque chose. Leur père est à Londres, il n’est d’aucune aide. Il s’est pris de passion pour le théâtre. Agnès a toujours su, et redouté, qu’un de ses enfants ne décède. Agnès a des « intuitions », sait utiliser les plantes. Mais que peut-elle faire contre la fatalité ? … L’ombre du Hamlet de Shakespeare rode bien sûr autour de cette histoire, on en comprend assez vite la raison. Ce père, féru de théâtre, qui a sa troupe à Londres, et dont on devine l’identité… Mais j’ai lu surtout là l’histoire d’une famille, dans lequel le drame entre, une famille pas comme les autres. Le personnage d’Agnès est la pierre angulaire de ce livre passionnant. Son mari fait bien pâle figure à côté de cette femme aux pouvoirs étranges, au comportement fort et intrigant, et qui a accouché par exemple de son premier enfant, seule, dans la forêt. C’est un tempérament fort, un portrait de femme que je ne suis pas prête d’oublier. Ce roman prend aux tripes le lecteur et lui donne envie de délaisser tout le reste. Ils sont assez peu nombreux ces romans là pour que l’on signale celui-ci, plus particulièrement. Si vous aussi vous êtes passés à côté, comme moi, n’hésitez plus.

Editions 10/18 –  avril 2022

J’ai aimé ce livre, un peu, beaucoup…1 4 2 3 4 

Une autre lecture chez… Mumu (qui m’en avait parlé la première)

Coups de coeur·Lectures 2023

Les premières funérailles, Alexandre Delas… coup de coeur !

lespremieres funerailles

❤ J’ai hésité à choisir ce livre car sa noirceur évidente, son sujet étrange, son titre… Tout à la fois m’intriguait et me repoussait. En quatrième de couverture, il est en effet question de chirurgie esthétique, d’un Paris en guerre, d’un jeune homme d’une beauté luciférienne. Bon, j’ai craqué, et j’ai vraiment bien fait, car ce roman étrange et d’une grande hardiesse est un véritable coup de coeur !! Nous sommes dans une dystopie, peu d’années après notre ère. Notre narrateur a grandi dans un Paris qui ne ressemble plus à celui d’aujourd’hui, où seuls les êtres « sublimés » ont tous les privilèges, un Paris gangréné par la violence. Lui a été adopté par un couple de médecins, célèbres. Son statut est donc à la fois privilégié et particulier. Les premières années sont idylliques, mais aussi difficiles. Il sait qu’il est différent, pas vraiment beau. Le passage au collège est un désastre, jusqu’à ce qu’un évènement oblige son père à l’opérer et à lui donner un beau visage. Devenu à son tour une célébrité, le jeune homme perd peu à peu sa naïveté, touche au sexe et aux drogues dures, et ne cesse d’être révolté par la marche du monde… Comme toutes les dystopies, les propos de celle-ci donnent froid dans le dos. En effet, ce qu’imagine Alexandre Delas est à nos portes. Mais ce que j’ai surtout aimé est l’urgence de vivre du personnage. J’ai pensé fortement à l’ambiance du film La fureur de vivre, ce désenchantement de la jeunesse, cette désespérance d’un futur corrompu par la génération précédente. J’ai aimé aussi, beaucoup, le style choisi, l’alternance avec des phrases mises en italique, qui expriment une pensée ou une vérité plus forte. J’ai aimé aussi les rectangles noirs, apposés sur certains mots, qui laissent à penser que le manuscrit a été censuré. C’est inventif, jeune, terrible et impatient. Et même si sa lecture en est assez exigeante, je vous conseille fortement d’aller voir du côté de ce roman, intelligemment décadent.

« Je vivais avec l’illusion que cette relative insouciance durerait toujours, je voulais peindre une vie différente des autres, je cherchais à capturer un pigment pur, vibrant, non dilué, intense et vivant de la vraie vie, mais la mort revenait toujours. »

Editions l’Archipel –  5 janvier 2023

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La fiche du livre sur Babélio

Coups de coeur·Lectures 2023

Dans la forêt, Lomig… ma BD de la semaine et un coup de coeur !!

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D’après le roman de Jean Hegland

❤ Lorsque je n’ai pas le temps de lire la version roman, je me tourne parfois vers son adaptation BD. Ce qui est en l’occurrence ici un peu ridicule, car le roman concerné est dans ma PAL, enfin quelque part chez moi, et attend mon bon vouloir. Mais une présentation de bibliothèque a remporté la partie et j’ai finalement embarqué cet album… Le lecteur ne saura jamais vraiment pourquoi tout a basculé dans le monde des deux soeurs Nell et Eva, dans cet endroit des Etats-Unis un peu reculé, mais l’électricité a été la première à disparaître, après plusieurs coupures. Puis les gens ont fui, et la nourriture a commencé à manquer à son tour. La famille des deux soeurs est installée dans une maison en bois, au coeur de la forêt. Rapidement, on comprend que la mère n’a pas survécu à une longue maladie. Puis, le père se blesse mortellement. Bref, à l’âge de l’insouciance, et à peine adultes, les deux jeunes filles se retrouvent seules au monde, dans leur chalet, vulnérables, dans un climat hostile. Les visites sont très rares, et peuvent s’avérer dangereuses. Il faut donc tout à coup réfléchir autrement. Nell et Eva décident de reporter leur confiance sur la forêt… Les planches de cet album sont toutes en noir et blanc. Les dessins de la forêt sont absolument magnifiques. On peut peut-être trouver à redire aux traits des personnages, mais je me suis vite familiarisée avec, tant l’histoire est prenante, bouleversante et rude, et au final très belle. Les flash back vers un passé ordinaire rendent d’autant plus impressionnante leur situation présente. Surtout, la passion d’Eva pour la danse. Dans certaines conversations, il est question d’une grippe qui aurait sévi, il est question de restrictions, du temps de l’électricité révolu. Voilà de quoi faire écho en nous, après une période covid éprouvante, et la période actuelle, où des coupures d’électricité étaient annoncées.

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Editions Sarbacane – 21 août 2019

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Tous les autres liens sont chez Moka aujourd’hui 

Une autre lecture chez… Sabine

 

Coups de coeur·Lectures 2023

Fille en colère sur un banc de pierre, Véronique Ovaldé… coup de coeur et rentrée littéraire de l’hiver !

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❤ Je n’avais pas lu de livres de Véronique Ovaldé depuis longtemps mais je gardais un très beau souvenir de mes anciennes lectures et ce titre de rentrée d’hiver me tentait particulièrement. N’est-il pas absolument antigonesque ? Et quelle lecture satisfaisante ! Pour tout dire, je me suis plongée dans l’écriture de Véronique Ovaldé avec le sentiment que c’était ainsi que je voulais écrire, exactement comme ça, avec cette justesse, et cette grande liberté… Aïda vit à Palerme depuis des années, dans un immeuble miteux qu’elle aime mais qu’elle devra bientôt quitter. Un beau jour, sa soeur Violetta l’appelle, pour lui apprendre que le Vieux n’est plus, et l’inviter aux funérailles. Elle décide de se rendre à Iazza, cette île qui l’a vue naître et où habite le reste de sa famille, encore en vie. Aïda est la pestiférée de la famille, celle par qui le malheur est arrivé. Mimi a disparu alors qu’elle n’avait que six ans, un soir de carnaval et son aînée était avec elle, après avoir enfreint l’interdiction paternelle. Aïda retrouve sa mère et ses soeurs, mais aussi Léonardo, son ancien amant. Et elle observe beaucoup, ce qui a changé, et ce qui est resté intact, les rôles assignés depuis l’enfance, la dégradation, les mensonges et les silences, tout ce qui se joue dans une famille et dans l’univers clos d’une île… Ce que j’aime dans l’écriture, dans le style de Véronique Ovaldé, est cette impression qui naît de ses mots de suivre une pensée, le flux d’une conscience. Nous sommes loin d’une écriture académique et pourtant chaque mot est juste, à sa place et bien choisi. J’ai parfois souri devant l’utilisation d’un adjectif original ou devant certaines remarques sur la vie, les liens et la famille. J’ai ressenti beaucoup d’empathie pour le personnage d’Aïda. Ce n’est pas si souvent que l’on prend un tel plaisir à lire un roman. Merci à elle donc ! Et je me rends compte à présent que j’ai omis de lire ses deux ou trois derniers livres. Où avais-je donc la tête ? De quoi me rattraper donc après ce très beau coup de coeur de rentrée de janvier !

« La mer est comme un sirop, onctueuse et amniotique. C’est une eau qui vous porte et vous lave de vos douleurs. Aïda n’avait pas nagé depuis quinze ans. Comment avait-elle pu s’en passer ? On est le lendemain de l’enterrement du Vieux. Il est sept heures du matin. Elle s’est couchée tôt la veille, ou du moins elle est montée tôt dans sa chambre, elle a lu son livre de physique quantique pour les nuls, il y avait encore du monde dans la Grande Maison, éclats de voix et quelques rires, on en avait terminé avec les chuchotis et la commisération, dernière phase des obsèques. Elle était montée parce qu’elle avait fini par se sentir comme un scarabée au milieu d’un plat de crème. »

Editions Flammarion –  4 janvier 2023

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Tout Véronique Ovaldé sur mon ancien blog [ici]