Atelier d'écriture·Ecrire

L’atelier d’écriture n°434 de Bricabook

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@ Christian Bowen

Je t’aime, et j’aime sans doute encore plus ton rire quand il déferle à l’improviste et se termine en cascade.
J’ai l’impression que tu vas mieux, que les sombres mois passés sont maintenant derrière toi. Je l’espère. J’ai fait mon possible pour que tu souris de nouveau à la vie. Si tu avais aimé ça, j’aurais même accroché des fleurs à tes cheveux. 
J’en fais des tonnes. Je suis à deux doigts de commander au soleil des couchers flamboyants, pour que tu t’extasies. Hier, j’ai imaginé une fête dans le jardin, avec des tables recouvertes de nappes blanches, des banderoles, du monde et de la musique. Avant de me souvenir que la foule te faisait encore peur, les gens, que c’était trop tôt.
Tu n’es pas prête, et moi non plus à risquer de te voir t’assombrir de nouveau.
Tu aurais aimé ça, avant, que je bouscule mes habitudes, que je mette un peu de désordre, de bruit, la vie qui pétille et prend des tours extravagants. Tu ne me trouvais pas drôle, tu t’impatientais parfois. Je crois que tu me trouvais ennuyeux.
Il faut dorénavant faire avec cette invitée, la douleur. Elle t’a prise toute entière, elle s’est dressée entre nous. Elle a redistribué les cartes. Elle m’a demandé d’être patient, de vous apprivoiser, toutes les deux.
Je ne sais pas si je sais bien faire, si l’attention que je porte à chaque détail est la clé, si mon amour peut suffire, j’essaie.

Un texte rédigé dans le cadre de l’atelier d’écriture d’Alexandra K – Une photo, quelques mots
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Atelier d'écriture·Ecrire

L’atelier d’écriture n°433 de Bricabook

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© Fred Hedin

Vouloir te dépasser en tout. Grandir.
Me dépasser, et finir par partir.

Puis, te rendre visite, quelques années plus tard, comme rarement je le fais, dans cet appartement du cinquième étage que je ne peux plus voir en peinture. Ton immeuble semble avoir été colorié par un enfant de six ans. Qui confie ainsi à un incompétent les clés de l’esthétisme d’un lieu d’habitation ?
Bref, aller te voir, pour t’aider à remplir des papiers. Constater combien tu as vieilli, mais combien tu sais encore sortir des saillies qui me blessent, remettent en cause celui que je suis devenu. Mes capacités.
Avoir l’envie, l’espace d’un instant, de te planter là, avec tes démarches, ta suffisance, et ton grand âge.
Malgré ses grandes fenêtres, ton appartement est étrangement sombre. Et puis bruyant, mal insonorisé. Tu y fais à peine attention. Peut-être n’entends-tu plus très bien ? Quand une ambulance passe dans la rue en bas de chez toi, toutes sirènes hurlantes, c’est moi qui sursaute.
Je fouille parmi un tas de feuillets. Tu ne sais plus distinguer ce qui est important de ce qui ne l’est pas. Les prospectus se mélangent aux justificatifs. Parfois, sur un bout de papier, tu as noté quelque chose de ton écriture serrée, un prénom, un numéro de téléphone. Je ne dérange rien. Je ne retire que ce qui m’est utile aujourd’hui. Pour la troisième année consécutive, je retrouve le même carton, avec ses mots de passe périmés. 
Tu es dépassé. Je t’ai dépassé. Je n’en retire aucune fierté. 
Tu n’as même pas l’air heureux de ton côté que je sache faire. Pendant que je m’évertue à remplir des cases de chiffres, tu tournes juste à côté de moi les pages d’une revue. Tu veux me parler d’autre chose, que tu as lu hier. J’ai du mal à me concentrer. 
L’instant s’étire plus qu’il ne devrait. Il prend des allures d’épopée. J’essaye de ne pas me tromper. Je vais sans doute te quitter sans être certain d’avoir tout réglé, avec de l’agacement.
Tu vas vouloir que je reparte avec quelque chose, pas un merci et ton soulagement de t’être reposé sur moi, non. Ce serait trop espérer. Tu penses que c’est mon devoir de fils.
Tu me confies une pile de revues. Pour que mes filles découpent dedans, dis-tu.
Merci papa.

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Atelier d'écriture·Ecrire

L’atelier d’écriture n°431 de Bricabook

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© Liam Seskis

Je suis fatigué. Tu as remarqué comment tout est plus compliqué quand on est fatigué ?

Je sais qu’il faudrait que je l’appelle. Je le ferai demain, demain c’est bien. Il y a une cabine à la fac. Elle est souvent libre, contrairement aux téléphones du hall de la cité universitaire. L’autre jour, j’ai essayé d’attendre un peu là-bas, mais une fille était installée, des chaussons aux pieds, en peignoir. On l’avait sûrement rappelée. Aucune carte ne tient aussi longtemps. J’ai regardé cette fille, elle avait l’air cool, et heureuse. J’ai pris le temps de l’envier, d’envier sa décontraction, de pester contre son égoïsme aussi, et puis je suis remonté dans ma chambre.
Je me suis dit que si elle avait voulu qu’on se téléphone avant elle aurait fait un effort, celui de joindre le concierge, qui répercute les appels dans les étages. C’est plus confortable pour tout le monde. Pas pour elle visiblement. Les autres parents le font.

Je ne sais pas combien il me reste d’unités… Tu ne trouves pas qu’il n’y a rien de pire que quand l’autre décroche et que son allo au bout du fil déclenche dans un tintement la chute d’au moins la moitié du stock ? J’ai l’impression de décéder un peu. A chaque fois.
Et bien sûr, elle ne me rappelle jamais. Elle m’invite à acheter une autre carte. Elle abrège la conversation. Il ne faudrait pas que ça lui coûte. Tu parles.

Quand je lui avais annoncé il y a quelques mois qu’on me virait de mon appartement et qu’il me fallait trouver un nouveau logement, rapidement, j’étais descendu et j’avais marché longtemps avant de trouver un téléphone. Sa froideur au bout du fil, son désintérêt pour mon sort, et le métal froid sous mes doigts je m’en souviens encore. Heureusement, on m’avait dégoté cette chambre de neuf mètres carrés, dans laquelle je me sens étrangement bien maintenant, protégé. 

La semaine dernière, il a fallu prévenir, tu y tenais. Je l’ai fait de cette fameuse cabine, à la fac. Je voulais lui dire que j’avais rencontré quelqu’un, et qu’elle viendrait peut-être parfois chez nous. Je voulais lui parler de toi. Franchement, je m’attendais à quoi ?

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L’atelier d’écriture n°430 de Bricabook

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© Fred Hedin

Dans mon village, l’ancien charcutier est devenu un industriel, et vend maintenant des pizzas, et ces sandwichs triangles que l’on retrouve sur des airs d’autoroutes, vous voyez.
Dans mon village, la devanture de son ancien établissement, là où « tout a commencé » est restée longtemps inchangée, dans son jus, mais fermée, le rideau tiré. Elle nous montrait à tous combien tout le monde pouvait sortir « de sa condition » à condition (justement) d’en vouloir un peu. L’image même du « quand on veut on peut ». On pouvait voir d’où il était parti, et à quelques kilomètres à peine plus loin, où il en était arrivé. Le petit local impressionnait face aux bâtiments imposants construits depuis. Mais il rendait le bourg un peu triste.
Heureusement, le boucher avait continué son activité, lui, et ses steaks hachés étaient restés immuables.
Dans mon village, personne d’autre n’avait vraiment pu, pu autant. Tout le monde s’était mis à travailler pour « celui qui avait pu », avait monté son entreprise de pizzas, et s’était même converti dans les plats asiatiques, les salades et tout un tas de mets à priori comestibles, qui finissaient tous par avoir bizarrement le même goût.
On se taisait sur les horaires décalées, la fatigue du corps, le froid. On pouvait même dorénavant construire des maisons « qui en jetaient » grâce aux primes, l’avenir était assuré. Les enfants restaient dans le coin, n’avaient pas besoin de faire de grandes études pour mettre des olives sur une chaîne de production, que demander de plus, pourquoi en espérer moins.
Lorsque la nouvelle est tombée, ce recul du départ de l’âge de la retraite, combien de ceux qui ont dépassé la cinquantaine aujourd’hui se sont rappelés à quel point on leur avait vendu du rêve, enfant, en leur présentant leur première pizza. Elle ne venait pas d’Italie, elle avait un goût de pain, de lardons trop cuits et de tomate. Son aspect était un peu grossier et sa sauce nous brûlait systématiquement le palais.
Mais en manger était cool. Et en acheter aussi. Comme si participer à ce progrès là, à ce sentiment de privilège absurde, n’allait pas enchaîner les corps et des familles entières à « l’entreprise », et ce pendant des années, et ce encore longtemps. Bien plus longtemps qu’ils ne l’avaient jusque-là imaginé.

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L’atelier d’écriture n°428 de Bricabook

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Tu aurais préféré qu’on t’admire moins, avais-tu soupiré en étirant vers le haut tes bras maigres.
L’admiration n’a rien à voir avec l’amour.
Tu aurais préféré qu’on t’aime.
L’amour tient chaud lui.
Arrête de faire ton cinéma, avais-je répliqué. Les gens t’aiment, ils ne savent peut-être pas comment te le dire mieux, c’est tout.
Ils peuvent le dire avec des sentiments. Ils peuvent le dire avec du temps, ils peuvent le dire avec tout ce qui ne coûte rien. Et tu avais pointé un doigt accusateur vers moi.
Les fleurs, les cadeaux, tu en as plein ta loge, chaque soir. Et des mots.
Je t’admire tant.
Mais quand tu franchis la porte du théâtre, le soir, personne ne t’attend.
Quand est donc venue la distance ? Elle a sans doute été toujours là. 
Quand tu lisais trop. Quand on te disait mutique, réservée.
Celle-ci, elle n’ouvre jamais la bouche pour rien.
Et tes oncles et tantes qui acquiesçaient, comme si tu étais sourde, également.
Quand tu as pris la parole seulement quand tu étais sûre de toi, donc.
Avec le théâtre et le cinéma.
Quoi de mieux que les mots des autres pour éviter de sortir des âneries ?

Tu aurais aimé qu’on t’admire moins, qu’on te demande comment tu vas, si quand tu es sur scène la figure du désespoir ne s’inscrit pas un peu trop en toi sur toi, si tu tiens le coup, si tu préfères peut-être la douceur de la caméra, si tu es amoureuse, heureuse, si tu ne fais pas tout ça pour fuir la tombée du jour, si tu veux du chocolat ou si tu préfères le thé, si tu as envie de sortir demain ou un autre jour et on pourrait se taire ensemble, si tu voudrais que le printemps arrive ou si tu préfères l’été, et dans quel pays exactement sans mentir cette fois-ci tu as puisé ton énergie et ta clarté dis moi.
Tu aurais aimé qu’on cherche à vraiment te connaître et qu’on t’aime encore, après.

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Atelier d'écriture·Ecrire

L’atelier d’écriture n°427 de Bricabook

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© Fred Hedin

Tu aimerais recevoir de bonnes nouvelles. Ça changerait. 
Tu aimerais qu’autour de toi on arrête de geindre. Ça t’arrangerait.
Tu aimerais qu’enfin la poisse cesse. Disparaisse. Change de tribu. Aille voir ailleurs. File sur l’asphalte, sur sa trottinette, et aille se fracasser la tête la première dans le poteau là-bas. Parce qu’elle n’avait qu’à faire attention tant pis.
Tu aimerais qu’on arrête avec la culpabilité. Est-ce que tu les sors toi les dossiers ?
Tu aimerais qu’on te rende la pareille. Qu’on te demande comment ça va depuis le temps. 
Mais les gens sont les gens. Et puis, peu importe, que pourraient-ils faire ?
Tu ne sais plus à quel Saint te vouer. Tu regrettes presque de ne plus croire en rien depuis longtemps. La rationalité n’envoie pas de petites fées pour tout arranger. Elle devrait.
Tu écris, chaque jour, des gratitudes, pour faire entrer le soleil. Il revient d’ailleurs souvent, celui-là, sur ta page. Lui, et la voix de ton fils qui chante dans sa chambre. Tu mets alors ta main sur ton coeur et c’est de l’avidité que tu ressens. Le désir que ce moment se prolonge, envahisse tout, rayonne. Explose presque.
Tu as remis en route ce qui fonctionne quand l’angoisse remonte à la surface, quand les volets se ferment et que la nuit semble avoir tout envahi. Constat d’échec que tu remâches avec amertume. Et l’impression d’être un hamster qui tourne en rond dans sa cage, cherchant la sortie. Ou une solution.
Tu avais toujours su en trouver, avant. Et espérer. L’espoir, c’est d’ailleurs tout ce qu’il te reste, avec la colère.

Un texte rédigé dans le cadre de l’atelier d’écriture d’Alexandra K – Une photo, quelques mots
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