Lectures 2017

Libérées, Titiou Lecoq

Tu dois à tes chers lecteurs du blog un récapitulatif de tes aventures précédentes avec Titiou Lecoq… avant de parler (tu l’espères le plus complètement possible) de son dernier livre (photo ci-dessus). Titiou Lecoq, pour toi donc, c’est – avant toute parution papier – la blogueuse de Girls and Geeks, que tu suis depuis très très longtemps, cette jeune femme au parler franc qui te ressemble un peu (en beaucoup mieux et en plus audacieuse). Sur son blog, elle raconte en effet ses déboires, ses rencontres, ses prises de position, sa vie, son mémorable accouchement, ses enfants… sans langue de bois, et avec un humour séduisant. Les Chroniques de la débrouille (Edité au Livre de poche en avril 2015, et sorti aux éditions Fayard sous le titre Sans télé, on ressent davantage le froid) [clic ici] sont la retranscription retravaillée des chroniques de son blog jusqu’à sa première maternité. Tu as reconnu certains passages que tu avais lu en direct. On y retrouve cette jeune-fille de son temps, arrimée à internet toute la journée, bardée de diplômes inutiles et coincée dans un petit boulot qui la nourrit à peine, pleine de désirs, d’envies de devenir ce qu’elle souhaite devenir, et puis aussi maladroite, avec ses histoires d’amour un peu ratées, ses amis présents. Mais malgré ses hésitations et ses listes, sa volonté de devenir écrivaine, elle ne s’en sort pas si mal la jeune Titiou, puisque de pigiste, elle devient presque journaliste et finit par être invitée sur les plateaux de télé. En 2011, Les Morues sont sorties en librairie [clic ici] et Titiou Lecoq est devenue auteure. Puis, quelques temps plus tard, elle est devenue maman.

« C’est déjà difficile d’être soi, si en plus il faut être une femme, ça relève de l’impossible. »

Du « je » qu’elle était lorsqu’elle était enfant, Titiou Lecoq est bien obligée de constater un beau jour qu’avec la vie de couple, et l’arrivée des enfants, le « elle » est arrivé, et avec lui cette chose étrange qu’est « l’identité féminine ». Et soudain, alors qu’elle se penche pour ramasser une énième chaussette laissée là par un des trois hommes de sa maison (cf Libérées), elle se demande comment, elle, a-t-elle réussi à se laisser glisser dans ce rôle de « ménagère » si éloigné de ses principes et de ce qu’elle est ? Alors, elle décortique l’Histoire, et décèle petit à petit les fondements de ça, d’une volonté politique d’abord tentant petit à petit de maintenir les femmes à la maison, pour créer un foyer susceptible de préserver la santé des hommes et des enfants, et d’apaiser les tensions sociales revendicatrices. Quoi de mieux pour un homme rentrant du travail (n’est-ce pas ?) que de retrouver un foyer chaleureux, qu’une femme apprêtée ayant préparé un délicieux repas ? Elle fustige Instagram et notre période, qui essaye aussi – à sa manière – de sublimer un foyer propre et toujours rangé, décoré. Ne sommes-nous pas nos propres esclavagistes ? Ne mettons nous pas nous même la barre tellement haut que tant de jeunes mères sont épuisées, à bout ? Et qu’en est-il donc du partage des tâches ? De cette soi-disant égalité acquise ? Le chemin est encore long.
Chez toi, le partage des tâches est un sujet de conversation, et comme chez tout le monde rien n’est évident. Personne n’aime vraiment ça, récurer sa maison à longueur de vie (si ?). A la différence près qu’étant myopathe, tu as du lâcher prise depuis longtemps avec cette identité féminine ménagère si répandue (selon des études, les femmes assument encore au moins 2/3 des tâches ménagères). La proportion que tu endossais a du basculer un peu. Ton homme fait beaucoup car tu peux moins, mais il fait aussi à sa manière. A toi aussi on a dit que si tu ne lui concoctais pas de petits plats tu ne garderai pas ton homme, et tu es mariée depuis dix-huit ans. Tu as cru, surtout avec l’arrivée des enfants, qu’il fallait endosser ce costume de mère trop grand pour toi, qui réclamait toujours plus. Tu as eu peur de ne pas être une bonne mère pour des organisations insignifiantes que tes enfants ont oublié aujourd’hui et dont tu sais qu’ils se fichaient éperdument. Etre une mère parfaite. Quelle connerie ! Et combien on se fatigue inutilement, souvent pour satisfaire simplement au regard des autres. Combien tu as passé du temps à être épuisée, toi, pour ces raisons là… du temps qui ne permet pas de faire autre chose. Même si toi tu as décidé dès la première année de ton fils, de voler du temps, justement, au quotidien… pour ton blog, pour les livres, entre deux couches à changer.  Laissons les hommes nous bichonner, prendre le balai, laissons nous l’opportunité de découvrir combien ils aiment ça, se rendre utile… avoir leur place, participer.
Tu as beaucoup aimé l’humour de Titiou Lecoq dans ce livre mais surtout tout ce qui y est documenté, tout ce qu’on y apprend. Tu as été scotchée de réaliser combien la manipulation du politique, du patriarcat, orchestrée depuis longtemps, a fonctionné, fonctionne toujours, de décennie en décennie. Nous sommes la moitié de l’humanité, et qui a dit que nous ne pouvions pas tout avoir ? Et le droit à la parole, et du temps pour nous réaliser. Notre seule responsabilité véritable (à partager avec son conjoint) : l’éducation de nos jeunes garçons, mais aussi de nos filles.
C’est un ouvrage dont tu conseilles une large lecture, autant féminine que masculine d’ailleurs ! Merci à Titiou Lecoq pour cette somme de travail, ce regard lucide, à la fois intime et distancié. Elle parle aussi de ce qui préoccupe le monde en ce moment… Tu as retenu ces phrases. Tu cites…

 » On a peu de pouvoir , mais on en a quand même un : la parole. Les dominés de tout genre n’ont à ma connaissance jamais rien obtenu en étant conciliants et silencieux. Pourquoi penser que c’est à nous de préserver la tranquillité de ces hommes ? Pourquoi continuer à inverser la logique ? Ce n’est pas la femme qui se plaint, qui trouble la tranquillité générale et provoque un scandale. Ce sont les gros lourds. »

Editions Fayard – 9 octobre 2017

J’ai aimé ce livre, un peu, beaucoup…1 2 3 4 5

21 commentaires sur “Libérées, Titiou Lecoq

  1. Oh, quelle jolie Chronique Antigone. Merci pour tes mots. Je suis justement dans une période où je me dis qu’il faut que je lache des choses car j’ai du mal à faire face sur tous les fronts mais que c’est difficile…. Tu me donnes vraiment envie de découvrir ce livre.

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  2. J’ai bien peur de ne pas apprendre grand chose en lisant ce livre, mais je suis curieuse de savoir ce que pense les quarantenaires. Comme j’ai toujours vécu à contre-courant, je ne suis pas tombée dans les pièges énoncés, mais il y a un prix à payer … que je ne regrette pas. Je suis agréablement surprise de cette levée de bouclier d’une nouvelle génération. Celle qui m’a suivi m’a paru particulièrement éteinte, croyant que tout était gagné.

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  3. Tu dis « Laissons les hommes nous bichonner, prendre le balai, laissons nous l’opportunité de découvrir combien ils aiment ça »… il faut que je médite ces mots.
    Pour le reste, merci. La bande-annonce que tu avais relayée m’avait fort intriguée et disons-même qu’elle a piqué ma curiosité.
    Il me plait ce livre, du moins ce que tu en dis car je ne l’ai pas lu. Très envie de le découvrir désormais ! Merci d’en avoir fait une chronique ! 😉

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    1. C’est ce que m’a confirmé mon homme. Tout est plus facile si il fait ‘à sa manière’. Parfois ça coince encore mais je me dis que de toutes façons au moins c’est fait. Et oui il faut leur laisser cette place là je trouve… Tant mieux si tout cela t’a donné envie de découvrir ce livre !

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  4. Belle chronique… Le plus important n’est pas là où l’on croit…. Sûrement un problème d’éducation et de laisser aussi la place à l’autre…. Il faut vivre pour l’important mais cela on le comprend parfois avec la maturité 😣 mais il n’est jamais trop tard

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    1. Tout à fait Mumu je suis d’accord. Il y a quand même des priorités et un apprentissage vers le « vivre ensemble’ qui se fait au fil des jours.

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  5. J’aime beaucoup la dernière citation. Comme toi, j’ai cessé un peu tard de chercher à être la mère idéale (et encore moins la femme de ménage, de toute façon, la poussière gagne !)

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  6. Mon elle en a fait un article la semaine passée, c’était très intéressant. Je crois d’éducation, de culture, et même sociétal… Les filles ont encore beaucoup de chemin à faire… et ce n’est pas gagné ;0) Merci pour ce billet qui pose les bonnes questions.

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  7. Belle chronique ! J’ai publié la mienne le mois dernier, grâce au club de lecture féministe des Antigones (!), et j’ai beaucoup aimé. Effectivement, être mère doit relever du défi, et je ne sais pas comment tu fais pour mener de front des enfants et un blog ! Comme le dit l’autrice, faire un enfant relève désormais du choix, et la pression qui lui est associée est d’autant plus énorme. Sans compter qu’on a sacralisé l’enfance et révélé le stade de l’adolescence, alors les parents sont montrés du doigt à la moindre défaillance. Un super bouquin, que j’ai offert à ma sœur, mère de trois enfants, dont des jumeaux…

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