Coups de coeur·Lectures 2021

Florida, Olivier Bourdeaut… coup de coeur !

❤ Après avoir beaucoup aimé En attendant Bojangles d’Olivier Bourdeaut, ce titre qui a connu un succès retentissant et mérité, j’avais fait l’impasse sur le deuxième roman de l’auteur, Pactum Salis, de peur sans doute de ne pas retrouver la ferveur de son premier. Aujourd’hui sort son Florida, dont j’avais l’intuition qu’il serait à la hauteur de mes attentes, et je n’ai pas été déçue… bien au contraire. Par contre, les amoureux de feel good devront passer leur tour. Florida est un roman qui dérange et qui gratte, et qui sous ses faux airs du Lolita de Nabokov explore jusqu’au bout les facettes et les dérives de la représentation du corps féminin. Tout commence bien (si l’on veut). Le jour de ses sept ans, Elizabeth est entrainée par sa mère à un concours de mini-miss, qu’elle gagne miraculeusement. Sa mère, enchantée, veut renouveler l’exploit. Commencent alors des années de préparations et de compétitions. L’enfer pour Elizabeth et une raison de vivre pour sa mère qui devait sans doute s’ennuyer ferme à la maison auprès de son mari. Les week-ends sont remplis, le corps de la petite fille exposé, photographié, mais le premier miracle ne se reproduira jamais plus. Au mieux, Elisabeth parvient-elle à la seconde place. Comment se rebeller ? Comment exister alors hors du regard de sa mère, du jury, des autres parents ? En prenant du poids à l’adolescence, en devenant laide, en redevenant belle plus tard et en sculptant son corps ? Mais à quel prix ? Elisabeth tente de s’approprier une enveloppe corporelle, que l’on a exposée trop tôt comme un objet sexuel juvénile, victime d’une ambition par procuration, victime de parents toxiques. Et j’ai été complètement bluffée par ce personnage, happée par son histoire, avide d’être à ses côtés, et intriguée par la force d’écriture d’Olivier Bourdeaut qui a écrit ici un roman ambitieux, passionnant et réussi.

Editions Finitude – 4 mars 2021

J’ai aimé ce livre, un peu, beaucoup…1 2 3 4 5

En lecture commune avec Sylire

Lectures 2020

Autoportrait en chevreuil, Victor Pouchet… rentrée littéraire 2020 !

Ce titre sera donc le premier livre que je vous présenterai dans le cadre de cette nouvelle rentrée littéraire. Ce roman attire l’oeil avec sa couverture vintage et son titre mystérieux… et puis, on entre avec lui, dans ses premières pages, dans un univers très particulier, où se mêlent spiritisme et une certaine forme de maltraitance ! Elias a eu une enfance peu commune. Sa mère est morte alors qu’il était encore très jeune et son père se targue d’être médium et coupeur de feu. Des gens viennent le consulter dans sa cabane au fond du jardin. Tout cela ne serait pas très grave si son père n’était pas également persuadé de détenir la vérité sur tout et tout le monde, de sentir les ondes, de prédire l’avenir, et s’il n’avait pas pour objectif de le former. Alors, il plonge régulièrement l’enfant dans un lac proche de leur domicile, pour lui apprendre la résistance. Il le laisse des heures dans la cave de leur maison, afin que le jeune garçon puisse expérimenter et écouter sa petite voix intérieure. Et puis arrive Céline, une jeune femme effacée qui donnera bientôt naissance à son petit frère Ann. La famille subit de plus en plus les discours délirants de son père. Elias n’a jamais ressenti ce fameux don en lui. Ce n’est pas le cas de son petit frère sur lequel les harangues paternels vont peu à peu avoir de l’effet, jusqu’au grand accident… Quelques années plus tard, c’est à travers le regard bienveillant et léger d’Avril que nous rencontrons un Elias adulte et bancal qui aura bien du mal à dévoiler ce que fut son enfance. Ce roman est doué d’une force très pudique. Il ne met pas mal à l’aise, malgré son atmosphère étrange. Elias réussit en effet à garder une certaine stabilité de pensée dans un environnement qui aurait pu le conduire à la folie. Il regarde son père agir avec recul, persuadé de n’avoir pas su être comme lui, ce qui finalement le sauvera. J’ai beaucoup aimé la construction de ce roman, son écriture à la première personne, et la petite musique qu’il essaye de jouer tout du long, qui parle de résilience, de force mentale et d’amour.

Editions Finitude – 20 août 2020

J’ai aimé ce livre, un peu, beaucoup…1 2 3 4 5

En lecture commune avec… George


(clic sur le logo pour retrouver les autres lectures communes de la rentrée littéraire et nous rejoindre)

Lectures 2020

Le prince de ce monde, Emmanuelle Pol

Lorsque j’ai accepté de recevoir ce livre, le confinement n’avait pas encore commencé, et je savais que son thème pouvait me filer un peu les chocottes, à la manière de Rosemary’s baby (que je vous conseille si vous ne l’avez déjà lu)… Et effectivement, c’est un peu le cas, surtout en ce moment, chocottes garanties !! Ce qui est flippant, et bien fait avec ce roman, est le contexte extrêmement proche de nous dans lequel vit la narratrice. Le lecteur peut se croire plongé dans l’ambiance récente des manifestations des gilets jaunes, sauf qu’ici le pays est également confronté à la canicule et à la montée manifeste des extrêmes qui accèdent alors au pouvoir dans un contexte de migration forte. Et notre narratrice n’est pas loin d’attribuer tous ces événements à sa rencontre avec l’autre, cet homme étrange et fascinant, à la fois laid et séduisant, rencontré chez des amis et dont elle deviendra l’amante, la proie, la victime au départ consentante. Pourtant, cette femme a tout pour être heureuse, un mari aimant et attentionné, Paul, une adolescente lumineuse et artiste, Violette, mais elle a succombé à celui qu’elle nommera très vite le diable et dont elle verra les manifestations dorénavant partout. Le mal et la violence semblent en effet s’être répandus en France comme une épidémie, dont même le Musée pour lequel elle travaille ne sera épargné. Est-elle seulement une femme sous l’influence d’un manipulateur pervers narcissique ? Ou bien une personne sensible devenue paranoïaque et malade ? Ce sera au lecteur d’en juger, en lisant ce récit extrêmement troublant dans lequel se démène un personnage de femme d’âge mûr, citadine et intellectuelle, en pleine remise en question spirituelle. J’ai lu ce roman, très bien écrit, avec avidité et tension.

« Combien de temps fallut-il pour que ma chute soit avérée ? Deux semaines ? Davantage ? Je ne peux le dire avec précision car mes notes, malheureusement, ne comportent aucune date. Je n’ai pour me repérer que des indications relatives aux saisons, à la scolarité de Violette ou à des épisodes clairement situés dans le temps. »

Editions Finitude – mars 2020

J’ai aimé ce livre, un peu, beaucoup…1 2 3 4 5

Coups de coeur·Lectures 2020

La Soustraction des possibles, Joseph Incardona… coup de coeur !

❤ Ce livre est un roman magistral. Je n’avais pas eu ce sentiment de lecture depuis Les années de Annie Ernaux, cette impression de lire un ouvrage à la fois ambitieux, maîtrisé et intelligent. Joseph Incardona est un écrivain suisse qui a déjà écrit plusieurs romans, des polars. Il a décidé de poser celui-ci dans les années 80, alors que le monde était assez différent de celui que nous connaissons aujourd’hui. Le bloc de l’Est allait bientôt imploser. Les crises financières n’avaient pas encore eu lieu. Les golden boys avaient le vent en poupe. La Suisse était alors la destination privilégiée d’hommes et de femmes discrets munis d’une valise. Le lecteur fait d’abord la connaissance d’Aldo, professeur de tennis désabusé, qui agrémente sa vie en séduisant ses clientes fortunées. Odile est la dernière en date. Très amoureuse de son amant, mariée à un homme d’affaires bien placé, elle met Aldo en relation avec une de ses connaissances pour lui permettre de gagner encore plus d’argent. Le voici donc transformé en porteur de valise zélé. Lors de l’un des transferts, il tombe par hasard sur une comparse jusqu’alors inconnue, Svetlana, une jeune maman, qui en dehors de récupérer des sacs plein de billets, travaille brillamment dans la finance. Ces deux-là finissent par tomber amoureux… sans se douter qu’autour d’eux plusieurs araignées ont tissé leurs toiles. Dans ce roman, il est question d’amour, de celui qui est partagé tout autant que de celui qui fait mal, mais aussi de la pègre, de malversations, de malfrats en tous genres. Je n’ai pas eu pour autant le sentiment de lire un simple polar, tant l’écriture de Joseph Incardona est inventive et érudite, pleine de tendresse brute. Il joue avec le lecteur, ses personnages, le récit en train de s’écrire, et combien j’ai adoré cela. C’est un roman qui est porté en sélection de plusieurs prix et je ne suis pas étonnée, il le mérite. J’ai personnellement craqué sur sa sublime couverture, je vous conseille vivement à présent d’en ouvrir les pages !

« Son gin-tonic arrive, il allume une cigarette.
En 1990, c’est encore faisable.
Le problème avec la vie qui avance, c’est qu’elle soustrait les possibles.
Justement. »

Editions Finitude – 2 janvier 2020

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